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Aggiornamento des droits individuels
« C’est toute la sphère de la citoyenneté qui enregistre désormais l’aggiornamento consacrant la prépondérance des droits individuels sur les obligations collectives.
Quel civisme anime encore les citoyens quand seuls 5% des Européens déclarent être prêts à se sacrifier pour la liberté, 4% pour la justice et la paix ?
Qu’est devenue la morale républicaine quand les taux d’abstention électorale ressemblent à des raz de marée répétés, quand plus d’1 français sur 2 considère qu’il n’est pas grave de ne pas voter, quand seul moins d’1 français sur 3 définit le bon citoyen comme étant celui qui paie des impôts sans frauder le fisc ?
Les idéaux de bien-être, la décrédibilisation des grands systèmes de sens, l’extension des désirs et droits à l’autonomie subjective ont vidé de leur substance les devoirs civiques comme ils ont déprécié les impératifs catégoriques de la morale individuelle et interindividuelle; en lieu et place de la morale du civisme, nous avons le culte de la sphère privée et l’indifférence envers la chose publique, le « tout-argent » et la « démocratisation » de la corruption. »
Gilles Lipovetsky – Le crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps modernes (Éd. Gallimard, coll. nrf essais, p. 208 et 209) – 1992
L’erreur du vivre-ensemble…
« Dès que les animaux n’ont p lus besoin d’avoir peur les uns des autres, ils tombent dans l’hébétude et prennent cet air accablé qu’on leur voit dans les jardins zoologiques.
Les individus et les peuples offriraient le même spectacle, si un jour ils arrivaient à vivre en harmonie, à ne plus trembler ouvertement ou en cachette. »
Emil Michel Cioran – De l’inconvénient d’être né (Éd. Gallimard, nrf essais, p. 160) – 1973 [1990]
Institution émotionnelle et flexible
« Loin d’être une fin en soi, la famille est devenue une prothèse individualiste, une institution où les droits et désirs subjectifs l’emportent sur les obligations catégoriques.
Longtemps les valeurs d’autonomie individuelle ont été assujetties à l’ordre de l’institution familiale. Cette époque est révolue : la puissance décuplée des droits individualistes a dévalorisé tant l’obligation morale du mariage que celle de procréer en grand nombre. Les parents se reconnaissent certes des devoirs envers leurs enfants : pas au point toutefois de rester unis tout leur vie et de sacrifier leur existence personnelle.
Telle est la famille postmoraliste que l’on construit et reconstruit librement le temps que l’on veut, comme l’on veut.
On ne respecte plus la famille en soi, mais la famille comme instrument d’accomplissement des personnes, l’institution « obligatoire » s’est métamorphosée en institution émotionnelle et flexible. »
Gilles Lipovetsky – Le crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques (Éd. Gallimard, nrf essais, Paris, p.167) – 1992
Avenir radieux
« Le progrès est l’injustice que chaque génération commet à l’égard de celle qui l’a précédée »
Émile Cioran – De l’inconvénient d’être né (Éd. Gallimard, nrf essais, p. 153) – 1973
Choc des cultures
« L’une des grandes inventions du XIXe siècle fut que « l’hérédité physiologique nous garantit l’hérédité psychologique ». Cela ne signifiait pas pour Hippolyte Taine qu’un individu héritait seulement de son père ou de sa mère, mais d’un vaste « magasin » comprenant tous ses ascendants « en remontant à l’infini ».
Les conséquences, ajoutait-il, étaient considérables et permettaient de prendre des vues à longue portée sur l’histoire humaine puisque l’on savait désormais que « la persistance des aptitudes et des tendances léguées » y jouait un rôle prépondérant : » La ténacité du caractère héréditaire et transmis explique les obstacles qui empêchent telle civilisation, telle religion, tel groupe d’habitudes mentales et morales de se greffer sur une souche différente ou sauvage. ».
Ainsi s’expliquait que les styles ne fussent transmissibles que par leur reproduction au sein d’une même souche ». Ainsi s’expliquait encore le principe de l’imperméabilité des cultures qu’avait déjà défendu Herder; et si, comme l’ajoutait le XIXe siècle, chaque culture était l’émanation d’une race, les chocs des cultures étaient nécessairement des chocs de races. »
Éric Michaud – Les invasions barbares, une généalogie de l’histoire de l’art (Éd. Gallimard, nrf essais, p. 24 et 25) – 2015