« C’est toute la sphère de la citoyenneté qui enregistre désormais l’aggiornamento consacrant la prépondérance des droits individuels sur les obligations collectives.
Quel civisme anime encore les citoyens quand seuls 5% des Européens déclarent être prêts à se sacrifier pour la liberté, 4% pour la justice et la paix ?
Qu’est devenue la morale républicaine quand les taux d’abstention électorale ressemblent à des raz de marée répétés, quand plus d’1 français sur 2 considère qu’il n’est pas grave de ne pas voter, quand seul moins d’1 français sur 3 définit le bon citoyen comme étant celui qui paie des impôts sans frauder le fisc ?
Les idéaux de bien-être, la décrédibilisation des grands systèmes de sens, l’extension des désirs et droits à l’autonomie subjective ont vidé de leur substance les devoirs civiques comme ils ont déprécié les impératifs catégoriques de la morale individuelle et interindividuelle; en lieu et place de la morale du civisme, nous avons le culte de la sphère privée et l’indifférence envers la chose publique, le « tout-argent » et la « démocratisation » de la corruption. »
Gilles Lipovetsky – Le crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps modernes (Éd. Gallimard, coll. nrf essais, p. 208 et 209) – 1992