Hypallage

« Nul mieux que Louis-Sébastien Mercier n’a résumé la manière de Voltaire en observant qu’il « ne travaillait pas sa pensée, mais son style ».

Le style de Voltaire est dominé par l’antiphrase qui rend sa pensée inclassable. L’antiphrase n’est pas seulement la figure de l’ironie mais peut devenir celle de la contrevérité quand elle se convertit en hypallage.

L’hypallage consiste à retourner la réalité en inversant dans une proposition donnée les propriétés de certains mots pour les attribuer à d’autres. […]

[…] « Les philosophes criaient à la tyrannie », confirme Gaxotte, alors que « la véritable tyrannie était celle qu’ils exerçaient sur la littérature ».

L’hypallage des philosophes, dès lors qu’elle prend une pose supposée voltairienne, consiste à faire taire un adversaire au nom de la « tolérance », rebaptisée depuis « liberté d’expression ». »

Michel LeterTout est culture (Éd. Les Belles Lettres, Paris, p. 191 et 192) – 2015

Choc des cultures

« L’une des grandes inventions du XIXe siècle fut que « l’hérédité physiologique nous garantit l’hérédité psychologique ». Cela ne signifiait pas pour Hippolyte Taine qu’un individu héritait seulement de son père ou de sa mère, mais d’un vaste « magasin » comprenant tous ses ascendants « en remontant à l’infini ».

Les conséquences, ajoutait-il, étaient considérables et permettaient de prendre des vues à longue portée sur l’histoire humaine puisque l’on savait désormais que « la persistance des aptitudes et des tendances léguées » y jouait un rôle prépondérant :  » La ténacité du caractère héréditaire et transmis  explique les obstacles qui empêchent telle civilisation, telle religion, tel groupe d’habitudes mentales et morales de se greffer sur une souche différente ou sauvage. ».

Ainsi s’expliquait que les styles ne fussent transmissibles que par leur reproduction au sein d’une même souche ». Ainsi s’expliquait encore le principe de l’imperméabilité des cultures qu’avait déjà défendu Herder; et si, comme l’ajoutait le XIXe siècle, chaque culture était l’émanation d’une race, les chocs des cultures étaient nécessairement des chocs de races. »

Éric MichaudLes invasions barbares, une généalogie de l’histoire de l’art (Éd. Gallimard, nrf essais, p. 24 et 25) – 2015

Synchronisation

« Je laisse aux experts le soin de décider s’il faut choisir, pour les nouveaux arrivants, la voie de l’intégration ou celle de l’assimilation.

Tout ce que je sais, c’est que les habitants d’un même territoire ne peuvent vivre ensemble que si leurs montres indiquent la même heure. La synchronisation s’impose. Et elle est incompatible avec la poursuite, au rythme actuel, de l’immigration de peuplement.

Pour Philosophie magazine, Michel Eltchaninoff est allé à La Villeneuve, ce quartier des environs de Grenoble qui avait été conçu à l’origine comme « un modèle d’ouverture à autrui et à la mixité » et qui est devenu peu à peu ethniquement homogène.

Pourquoi ce fiasco ? Parce que, selon un militant associatif resté sur les lieux, « La Villeneuve est une utopie du Nord peuplée avec des gens du Sud. On n’a jamais appris la vie urbaine à ces populations issues de la ruralité. C’est ce qui explique que tant de personnes jettent leurs ordures par les fenêtres. Dans ces pays, les espaces publics sont dégoûtants alors que l’espace privé est impeccable ».

Nul n’est par essence ou par fatalité étranger à l’urbanité française. Mais, pour que tous deviennent contemporains, il ne faut pas qu’augmentent indéfiniment le nombre de ceux qui ne le sont pas au départ.

Ou alors, une autre synchronisation risque d’advenir, celle dont le pape François donne d’ores et déjà l’exemple en alignant sans avoir l’air d’y toucher la morale chrétienne sur le coup de boule de Zinedine Zidane : »Si un ami parle mal de ma mère, il faut s’attendre à un ramponneau. On ne peut provoquer, insulter la foi des autres. »

Alain FinkielkrautLa seule exactitude (Éd. Stock, Paris, p.242) – 2015